Samedi 26 janvier 2013
Depuis plus de quatre ans, Bernard Tapie jouit paisiblement de 400 millions d’euros. Un pactole légalement accordé aux frais des contribuables français par un tribunal arbitral dans l’affaire Adidas. Assis sur son tas d’or, l’homme d’affaires peut à nouveau mener grand train, s’offrir un groupe de presse sans craindre de devoir, un jour, rendre l’argent. Et la justice n’y peut plus rien changer !
Les amis de Tapie ont en revanche beaucoup plus à craindre de l’enquête fraîchement ouverte sur les conditions d’attribution du magot. Pourquoi Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l’Economie et avocat, plaidait-il de régler le litige entre son ancien client et le Crédit lyonnais par un arbitrage ? Pourquoi Nicolas Sarkozy, considérait-il lui aussi cette justice privée plus efficace que la justice ordinaire ? En 2007, en pleine campagne présidentielle, le soutien politique fervent de Tapie aurait-il fini de le convaincre ? La ministre Christine Lagarde et Stéphane Richard, son directeur de cabinet à Bercy, auraient-ils donné des consignes aux fonctionnaires pour que cette volonté politique se traduise dans les faits ? Voilà bien les questions auxquelles les trois juges d’instruction ont désormais à répondre. L’enjeu est d’importance car plus que les éventuelles sanctions, c’est la vérité sur une certaine pratique du pouvoir qui est en jeu. Une pratique mêlant affaires et amitiés, privilégiant les arrangements de coulisses aux décisions transparentes de la justice. Pour Sarkozy, Tapie pourrait devenir un boulet judiciaire aussi embarrassant que le fardeau Bettencourt.
Depuis quelques jours, on nous parle d'une "guerre au Mali" : en est-ce bien une si l'on fait preuve de rigueur ? L'affrontement met en scène un vieil Etat européen, un Etat failli africain et des bandes armées sur lesquelles croulent des appellations diverses et mêlées dans une synonymie des plus approximatives.
PAS DE TERRITOIRE FIXE, NI INSTITUTIONS, NI DIPLOMATES
Une chose est sûre : ces bandes ne constituent pas des Etats, n'ont pas de frontières, pas de territoire fixe, ni institutions, ni diplomates, ni soldats au sens classique ; elles n'ont même pas d'intérêt à négocier, tant leur survie est intimement liée à la pérennité des conflits. Ne nous égarons pas dans des comparaisons trop faciles et illusoires.
Il serait temps d'en tenir compte : cette forme nouvelle de conflictualité met en scène une violence surgie de la profondeur de sociétés fortement meurtries, mal intégrées ou pas intégrées du tout dans des Etats qui sont en décomposition ou en faillite depuis plus d'un demi-siècle.
Aux sources de l'affrontement, nulle rivalité de puissance, mais des échecs, des frustrations, des exclusions, des humiliations que sont venus gérer des entrepreneurs de violence qui y trouvent la clientèle idéale.
Le radicalisme religieux y sonne naturellement comme une réponse attendue à une démission complète, totale, du politique national et surtout international. A défaut d'être construit en société politique, le Sahel s'est constitué, au fil des décennies, sous le regard indifférent ou complice des uns et des autres, en société guerrière, comme l'Afghanistan, comme la Corne de l'Afrique, comme le Congo et d'autres encore...
On prétend trop vite que les entrepreneurs de violence sont des acteurs isolés qu'un usage judicieux de la force doit permettre de "détruire". Imprudence dangereuse : une société guerrière ne se combat pas comme un Etat rival.
N'oublions pas que l'essentiel de sa rationalité se trouve, contrairement aux Etats, dans la banalisation de la violence ; la guerre qu'on lui porte la renforce et l'installe dans son jeu plus qu'elle ne l'éteint : on l'a déjà cruellement expérimenté sur d'autres terrains desquels de grandes puissances ont dû se retirer sans avoir vaincu.
CES SOCIÉTÉS LAISSÉES POUR COMPTE PAR LES TRANSFORMATIONS POSTCOLONIALES
Les Etats modernes ont appris, au fil des siècles qui nous séparent de la Renaissance, à combattre leurs semblables qui recevaient l'appellation claire d'"ennemis". Ils n'ont jamais su s'opposer avec succès à des acteurs surgis des méandres d'une société en crise, quelle que soit l'orientation de ces derniers, généreuse ou criminelle, parfois les deux à la fois...
Depuis longtemps, il devenait urgent de prendre en compte cette autre donnée de la mondialisation que constitue l'irruption des sociétés dans le jeu international, en particulier de ces sociétés laissées pour compte par les transformations postcoloniales.
Qui pourtant s'est intéressé au Sahel ? Qui s'est inquiété des échecs de la construction du politique en Afrique ? Qui, au contraire, n'a pas flatté et encouragé ses faiblesses pour continuer à dominer ?
Ces manquements coupables ressortent aujourd'hui sous les apparences d'un enchaînement fatal et diabolique qu'on croit naïvement pouvoir traiter par une guerre inadaptée, alimentant en fait des cercles vicieux de violence que seule la politique pourrait guérir, là où l'usage de la force risque de les enrichir.
Deux paramètres doivent être présents à l'esprit. D'une part, l'entrepreneur de violence n'est pas chevillé à un territoire, mais mobile sur des espaces sociaux vastes et dont il sait qu'ils lui sont favorables : telle est bien la nature du Sahel, dont l'écologie et la misère sociale et politique sont assez affirmées pour favoriser ceux qui s'inscrivent hors du jeu étatique.
LA DÉSESPÉRANCE Y EST TRAGIQUEMENT COMPENSÉE PAR L'ENRÔLEMENT
D'autre part, cet entrepreneur sait mobiliser en sa faveur un jeu social d'une étonnante densité, fait de réseaux de toute nature, mafieux ou non, d'une économie de guerre très au point, de populations que l'état d'abandon rapproche de ces pratiques de violence sous de multiples formes : la désespérance y est tragiquement compensée par l'enrôlement, y compris d'enfants, dans des bandes qui offrent vêtements, nourritures et comme un dérisoire semblant d'existence...
L'Afghanistan, la Somalie et d'autres cas de même nature auraient dû nous apprendre que la prétendue "communauté internationale" n'a trouvé à ces drames que de mauvaises solutions, souvent pires que le mal, dans la mesure où elles en ont amplifié les effets.
D'abord, parce qu'il n'y a pas de "communauté internationale", que tout a été fait depuis 1945 pour que les Nations unies n'interviennent pas en leur nom, mais laissent faire les autres, les puissants, ceux-là mêmes qui sont regardés avec le plus de suspicion, et que les entrepreneurs de violence attendent au tournant...
EST-IL CERTAIN QUE L'ALGÉRIE AIT ENVIE DE DEVENIR LE PAKISTAN DU MALI
Ensuite, parce que la régionalisation des solutions, prônée un temps et encore maintenant, suscite d'évidentes contradictions : dans un conflit qui, par définition, n'a pas de frontières, la première victime de toute internationalisation est d'abord le voisin.
Est-il certain que l'Algérie ait envie de devenir le Pakistan du Mali ? Aussi, parce que les Etats, les Etats-Unis en tête et l'Allemagne avant eux, comprennent de mieux en mieux les risques encourus dans ce genre d'aventure.
Enfin, parce que la guerre tue un peu plus l'imagination et la générosité politiques dont nous avons besoin pour avancer, qu'un gouvernement de gauche se devrait d'expliciter et de promouvoir à la face du monde. Il était un temps où le général Faidherbe (1818-1889) poursuivait des bandes armées qui s'attaquaient aux forts du Sahel et qui professaient déjà un islam radical. Qu'avons-nous fait depuis ?
Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po Paris, auteur de "Quand l'Histoire commence" (CNRS éd., 64 p., 4 €)
Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po Paris
Reportage Le maire socialiste de Ris-Orangis, dans l'Essonne, refuse d'inscrire des enfants roms dans les écoles de la ville. Il leur propose un gymnase. Le Défenseur des droits s'est saisi du dossier.
Ce jeudi matin, la «classe» est sortie de «l'école» un peu avant 11h30. Treize enfants roms scolarisés depuis lundi dans une annexe de gymnase municipal de Ris-Orangis (Essonne) en bordure de la nationale 7, à quelques centaines de mètres du bidonville où ils vivent depuis l'été dernier. Le maire PS de la ville, Stéphane Raffalli, leur a refusé l'inscription dans les écoles de la ville au début de l'année scolaire, comme il en a pourtant l'obligation. Après l'occupation de la mairie par des associations de soutiens aux Roms et des familles début janvier, il a fini par proposer la solution du gymnase, avec l'aval de l'inspection d'académie.
«Classe ghetto»
Une solution jugée «honteuse et scandaleuse» par les associations de soutiens aux familles roms, syndicats enseignants et élus Front de gauche qui manifestaient hier devant la préfecture de l’Essonne, dénonçant la mise en place d’une «classe ghetto» et réclamant au préfet d’imposer la scolarisation dans de vraies écoles de ces enfants.
Parallèlement, le défenseur des droits, Dominique Baudis, s’est saisi de l’affaire. Selon son cabinet,«la question du caractère discriminatoire de cette classe se pose car il y a un accès différencié et non justifié aux services de l’enseignement public à raison de l’origine des enfants». Le défenseur des droits demande depuis plusieurs semaines au maire de s’expliquer sur le refus de scolarisation des enfants alors même que leurs dossiers sont complets. Ses services ont pu constater que les circulaires publiées début septembre sur l'obligation de scolarisation des enfants roms et itinérants n'étaient ici pas appliqué. Ris-Orangis n'est pas la seule municipalité, ni d'ailleurs la seule municipalité PS, à ne pas respecter les engagements du gouvernement. Mais elle est la seule à avoir mis en place un tel dispositif de séparation des enfants roms.
«C’est pratique car tout près du bidonville»
Stéphane Raffalli, le maire socialiste, n'a pas répondu au Défenseur des droits. Il balaie les arguments des associations, «des activistes bien connus qui essaient de se faire une vertu politique sur le dos des roms» et défend sa solution gymnase comme un «outil pédagogique adapté à ces populations». «C’est pratique car tout près du bidonville», argumente-il. Selon lui, les écoles de la ville sont de toute façon «surchargées» et ne pourraient pas accueillir ces enfants. «Je veux bien faire preuve de solidarité, mais j’ai aussi à tenir compte de la nécessaire cohésion sociale». Il dit ne pas être en capacité «de gérer une aussi grande pauvreté».
Pour Serge Guichard, président de l’association de soutien aux familles roms de l’Essonne, la démarche du maire relève «d'une forme de racisme». «Le maire a une curieuse interprétation de l’obligation de scolariser les enfants sur sa commune. La scolarisation ne consiste pas à garder des enfants dans un lieu la journée. Si l’on veut qu’ils apprennent la langue, qu’ils apprennent à être élèves, on les scolarise dans une école, avec d’autres enfants», rappelle le conseilller régional Front de gauche François Delapierre.
Les syndicats enseignants en colère
Les syndicats enseignants, présents à la manifestation devant la préfecture, sont tout aussi remontés. Alain Goiny, secrétaire départemental de la FSU parle d’une solution tricotée «en dehors de tout cadre juridique». «On a des enfants qui ne sont pas inscrits à l'école, qui ne sont donc pas élèves, dans un bâtiment qui n’est pas une école, avec des enseignants qui n’ont même pas d’ordre de mission». Pour Karim Benamer du SNUIPP (syndicat majoritaire dans le primaire), «ce que fait le maire de Ris-Orangis est contraire à toutes les circulaires ministérielles sur l’obligation d’intégrer les enfants dans les classes».
Patricia Krys, la directrice de l'école de secteur où auraient dû être scolarisés les enfants du bidonville, et par ailleurs répresentante SNUIPP, était jeudi à la manifestation en soutien aux familles, accompagnées de plusieurs enseignantes de l'école. Elle réfute l’argument des classes surchargées.«C’est faux, nous pouvons tout à fait accueillir ces enfants», explique-t-elle disant ne pas comprendre la position du maire. D’autant que l’enseignante spécialisée de son école pour les enfants non-francophones lui a été enlevée pour aller travailler... au gymnase. Où la classe est assurée par trois enseignants, deux professeurs spécialisées et un professeur des écoles remplaçant.
Hier matin, suite à une fuite, de l’eau a envahi le couloir du gymnase-école. Derrière la petite troupe d’enfants qui parlent à peine français, deux enseignants visiblement à bout, se refusent à tout commentaire: «Nous n’avons pas le droit de nous exprimer sur ce qui se passe.» Les enfants reviendront à 13h30, officiellement non inscrits à l'école, ils n’ont pas le droit de manger à la cantine. En attendant, ils rejoignent à pied le bidonville, longeant dans la boue et au ras des voitures la quatre voies. La «salle de classe» comprend quelques chaises, quelques bancs, pas de tableau. Sur les treize enfants, la plupart n'ont jamais été scolarisés et n'ont jamais vu une vraie salle de classe.
Le maire attend l'expulsion des familles
Les services du défenseur des droits se disent aujourd'hui particulièrement attentifs à la situation des roms de Ris-Orangis, prévenant qu'elle ne doit ps perdurer. En réalité, le maire, Stéphane Raffalli, espère surtout que le bidonville qui abrite près de 200 familles soit rapidement démantelé. Le conseil général de l'Essonne et Réseau ferré de France, propriétaires du terrain n'ayant lancé aucune procédure en ce sens, le maire envisage de prendre «dans les jours qui viennent» un arrêté de péril lui permettant de demander l'évacuation.
La circulaire Valls de l'été dernier sur les démantèlements de camps oblige désormais la préfecture, en cas d'expulsion, à prendre en compte la situation des familles dont les enfants sont scolarisés pour éviter des déscolarisations qui ruinent les efforts d'intégration. Le texte prévoit que les certificats de scolarité fasse foi. A Ris-Orangis, les treize enfants du gymnase, dont la mairie n'a enregistré aucune inscription, n'en ont pas.